L'authenticité au travail

L'authenticité au travail

Cet article est une synthèse d'une intervention réalisée au MedinLab d'EDF à Marseille en juillet 2019.

Vaste sujet. Qu’est-ce que c’est? A quoi ça servirait? Pourquoi est-ce que bon sang on en parlerait?

Nous allons être honnêtes: nous n’avons aucune réponse à vous apporter. Juste quelques éléments que nous avons glanés dans des études, des entretiens, des exemples de ce que nous faisons chez Ze Change Makers et nos expériences personnelles.

Merci à Lily Gros pour l’apport précieux de ses recherches sur ce thème.

Pourquoi parler d’authenticité?

Nous pensons que se rapprocher de son authenticité permet d’être davantage “aligné”, et que cela déclenche un afflux d’énergie vitale qui fait que l’on se sent bien. Autrement dit, être davantage authentique permet de “se sentir mieux dans ses baskets”.

Selon nous, être authentique est une clef pour être plus efficace dans son travail, notamment dans ses relations aux autres. Se connaître, connaître ses besoins, permet d’être plus clair vis-à-vis de soi-même et des autres. On peut aller droit au but quand on exprime quelque chose.

S’autoriser à être soi-même, c’est d’une certaine manière lâcher-prise. Et lâcher-prise permet de s’autoriser à faire les choses différemment, à questionner, proposer, tester… donc d’être plus créatif. On parle sans cesse “d’innovation” autour de nous, il faut absolument “innover” pour être dans l’air du temps, pour que l’organisation survive… et si l’innovation commençait par soi-même en s’autorisant à faire autrement, en faisant d’une manière qui nous semble plus appropriée?

Qu’est-ce que l’authenticité au travail?

Voici une proposition de définition: l’authenticité serait “la capacité à être soi-même, à agir en cohérence avec ses valeurs, ses pensées et ses sentiments”.

Carine Roberger, doctorante à l’IAE de Caen a réalisé en 2017 une enquête pour laquelle elle a sollicité 4000 salariés de groupes publics et privés. Elle a obtenu 481 réponses et selon elle, il y aurait une corrélation entre la capacité à être authentique et le bien être au travail. Les personnes davantage authentiques auraient :
une meilleure capacité à se saisir des opportunités, c’est-à-dire à poser un autre regard sur ce qui les entoure,
et une meilleure résistance face à l’épuisement professionnel, c’est-à-dire une meilleure capacité à connaître ses sources d’énergies, ses limites et à se protéger.

L’authenticité serait-elle alors un facteur déterminant dans la manière d’appréhender la qualité de vie au travail? Y-aurait-il un lien fort entre l’authenticité et ce qu’on nomme dans le jargon des entreprises la “QVT” (Qualité de Vie au Travail)?

L’authenticité en entreprise: un paradoxe

Faut-il être authentique au travail?

Non!

On ne peut pas être authentique à n’importe quel prix. Ce qui est important est la RELATION à l’autre: je m’adapte à la personne, au moment, à ce qu’elle est prête à entendre. Si je suis CONSCIENT de ce que je suis en train de faire, je ne suis pas en train de brader mes valeurs.
Chacun a son rapport à l’authenticité. On peut être plus ou moins authentique en fonction des personnes autour de nous et de l’énergie qu’on a.
Certaines personnes peuvent choisir d’être authentique en toutes circonstances et d’en assumer les conséquences.

Oui bien sûr, avec ses limites

On peut avoir le courage d’être fidèle à soi-même, ce qui donne du courage aux autres.
Exemple: “Je suis très porté sur protection de l’environnement, mais je trouve que mon organisation pourrait mieux faire.
Soit: je fais moi-même des petits pas (gestes aux quotidiens), ce qui encourage les autres à faire de même.
Soit: je n’agis pas, ce qui est contradictoire avec mes valeurs. Je dois en être conscient et peser les enjeux pour moi. Je fais un CHOIX, je ne force pas, je jongle avec les codes. Mon travail n’est pas 100% conforme à mes valeurs, mais c’est OK pour moi en ce moment. Etre conscient de ce choix permet de sentir quand il y a trop de pression en face et donc être en capacité à poser des limites.

Dans cet exemple, c’est en étant authentique que j’avance sur mon propre chemin, ET que je fais avancer mon entreprise. Etre authentique peut aussi dire accepter en conscience les choses telles qu’elles sont.

Attention, être authentique ne veut pas dire qu’on va mettre une lumière sur vous et qu’on que les gens vont tout savoir. Vous pouvez tout à fait choisir ce que vous voulez révéler aux autres.

L’authenticité est un cadeau: il est tellement rare d’articuler, de mettre des mots sur ce qui s’est bien passé (à condition de le penser franchement!) “Lors de cette réunion, j’ai beaucoup apprécié ta manière de présenter les choses…” ou alors “bravo pour ta persévérance pour mener ce projet à bien…”. Faites le test et voyez ce qui se passe pour vous et pour votre interlocuteur. C’est possible que ce dernier soit tout d’abord pris au dépourvu, mais si vous êtes sincère il.elle sera touché.e.
Ce n’est pas facile d’être authentique
Faire différemment, articuler en positif ou sous la forme d’une critique constructive ce qui n’est habituellement pas dit explicitement, expose au risque d’être jugé par son entourage. Difficile de modifier son attitude et ses habitudes sans se heurter au regard des autres!
En poussant même plus loin, on peut avoir peur de perdre ses responsabilités, ou de s’exclure. Le degré de liberté que nous avons dans notre cadre professionnel influe sur notre capacité à être authentique. Plus le cadre est contraignant, plus on doit rentrer dans le moule.

L’authenticité doit fonctionner dans les deux sens: si des individus font preuve d’authenticité, l’organisation se doit de favoriser un climat de confiance, d’écoute de soi et des autres, de droit à l’échec, à l’erreur… Sujet dont on ne parle JAMAIS car cela n’aurait pas de lien direct avec les indicateurs et la performance de l’entreprise. Et si vous lanciez des discussions sur ces thèmes-là autour de vous?

Comment “faire tomber les masques”?
Indéniablement: commencer par soi-même en partageant ses doutes, ses questions, voire son ressenti. Partager ce qui est important pour soi.

Témoignage: “J’étais intégrée à une équipe pour organiser un événement d’une journée pour 150 personnes. Suite à des déboires personnels, j’ai dû laisser tomber l’équipe deux jours avant l’événement. Grand sentiment de culpabilité. Je trouve une solution pour me remplacer et partage mon mal-être avec l’équipe: je suis alors très surprise car je reçois de nombreux messages de soutien, ainsi que l’appel de deux personnes pour prendre des nouvelles. On m’a même dit: “il m’arrive de ne pas être bien mais je n’ose pas le partager. C’est inspirant pour moi que tu le fasses!” Paradoxe: je me suis sentie mal, j’ai l’impression d’avoir failli et on me renvoit qq chose de positif. Mon apprentissage du jour est donc de renouveler l’expérience de dire quand ça ne va pas (ce qui implique également de dire aussi quand ça va!)

Quelques petites choses simples pour se rapprocher de son authenticité

Les difficultés apparaissent non pas quand les gens ne sont pas d’accord (différence de point de vue), mais quand il y a rigidité sur le point de vue. Comment fluidifier les rigidités quand elles apparaissent?

Voici quelques exemples de comportements:
Partager ses échecs
Partager ses doutes, ses questions
Dire “je ne sais pas”
Demander de l’aide
Montrer sa sensibilité, exprimer un ressenti
Exprimer son inconfort “Je ne suis pas d’accord, je ne suis pas à l’aise avec cette situation, que peut-on faire?”
Dire non à des sollicitations pour passer plus de temps à faire ce que je sens important pour moi
...

Mais aussi:
Bravo !
Félicitations !
J’apprécie quand tu…
...

Proposition d’outils

Météo intérieure

Au début d’une réunion, on peut prendre le temps de faire un tour de table lors duquel chacun partage sa “météo intérieure”: dans quel état d’énergie je suis. “Pour moi ce sont des nuages: j’ai couru pour attraper mon bus, je l’ai raté, j’ai attendu le suivant, je suis arrivé tout chamboulé ce matin…” “Grand soleil de mon côté, je rentre à peine de vacances, je me suis bien reposé…” “Tempête ! Le projet sur lequel je travaille a été arrêté, je suis déçu…”

L’intérêt de cette démarche rapide et simple à mettre en place est d’être renseigné sur le niveau d’énergie du groupe, et chacun s’est senti écouté. On est toujours plus disposé à écouter les autres lorsqu’on a soi-même été entendu. De plus, partager avec les autres quelque chose qui nous touche personnellement permet de créer un lien d’humain à humain.

Faire la différence entre mon rôle et moi-même

Quand un sujet coince, il peut être intéressant de se demander si cela concerne son rôle ou sa propre personne. Tout ce qui a trait à son rôle est de l’ordre de la technicité (connaissances et compétences pour faire mon travail), alors que ce qui concerne ma personne relève de ma capacité à travailler avec les autres, ma manière d’être.
Est-ce que la cause du problème vient d’un défaut de processus ou d’une friction entre les caractères de personnes?
Selon la réponse, la nature de la solution varie: un défaut de processus peut être comblé par une remise en question du processus en question, une friction entre deux personnes nécessite une conversation où l’on se parle “vrai”, où l’on met des choses sensibles sur la table. Selon la gravité de la situation, on peut faire appel à un médiateur ou pas.

Pratiquer le feedback

C’est un exercice qui se pratique généralement à deux. Il existe plusieurs méthodes de feedback, dont nous ferons pas le détail ici.
En ce faisant, on est authentique avec soi-même et authentique avec les autres.

Réflexivité: les 2 colonnes

Une réunion un peu tendue, une altercation avec son chef ou un collègue… vous ressortez d’une situation avec un sentiment de mal à l’aise, de colère ou de non compréhension de l’attitude de l’autre. Vous pouvez profiter de l’occasion pour faire une analyse personnelle de ce qui s’est passé. Prenez une feuille de papier et faites deux colonnes: dans celle de gauche, décrivez les faits et dans celle de droite, notez comment est-ce que vous les avez vécu, ce que vous avez pensé, ressenti au moment des faits.
Ce travail permet de prendre du recul, de la distance avec ce qui s’est passé et avec sa colère, d’analyser la situation à froid, et de décoder ses réflexes.
Le mieux est ensuite d’arriver à en parler à froid avec la personne concernée… pour ne pas laisser un malaise s’installer.

Authenticité et dévoilement (d’après le MOOC Gouvernance de l’Université du Nous)

Cette démarche n’est pas évidente les premières fois qu’on la met en oeuvre, mais devient rapidement grande source d’apprentissage sur soi-même. Elle se décompose en quatre étapes:

  1. Prendre conscience de ce qui se passe en moi, de mon ressenti, des réactions de mon corps
    Parce que souvent: “non non il n’y a pas de problème, je suis au dessus de ça”; ou alors “ce sont les autres”... On n’ose pas regarder ce qui se passe en nous
  2. Accepter ce qui se passe en moi
    Mes émotions sont telles qu’elles sont, elles n’appartiennent qu’à moi. Une autre personne qui vit la même situation n’aurait pas les mêmes émotions.
  3. Décoder, comprendre de quoi il s’agit, qu’est-ce que j’ai à l’intérieur de moi
    Quand nous sommes dans une attitude rigide et qu’on arrive à s’en rendre compte (“mais pourquoi est-ce que je lui ai parlé comme ça?”), il faut prêter attention au signal qui est à l’intérieur de nous. De quel signal s’agit-il? Les émotions sont des indicateurs de nos besoins: être reconnu, être écouté, être respecté… Quand on ressent des émotions fortes, cela signifie qu’un de nos besoins est non satisfait (sauf la joie car la joie se partage).
  4. Décider de ce que je vais dévoiler
    On choisit de dévoiler consciemment ce qui nous semble utile pour soi et pour le collectif. Il n’y a aucune obligation à se dévoiler, chacun à droit à son INTIMITE. Et n’attendez pas que les conditions soient réunies à 100% pour oser parler, car c’est le fait de se dévoiler qui crée la confiance et qui va inciter l’autre à se dévoiler en retour.

Chercher des espaces de liberté

On peut également chercher des espaces-temps où l’on sent une ouverture vers davantage d’authenticité: des collègues à la machine à café, une réunion hebdo… et profiter de ces conditions pour oser partager sincèrement le fond de sa pensée ou tester une nouvelle manière de faire. Et quand on se sent à l’aise dans cet espace, chercher à le faire grandir: inviter d’autres personnes, tester quelque chose sur un périmètre plus grand...

Conclusion

Pour clore ces quelques lignes, je vous propose une autre définition de l’authenticité:
“L’authenticité est le courage d’être imparfait, vulnérable et de poser des limites” de Brené Brown, chercheuse en sciences humaines et sociales à l’université d’Houston.

Courage: Il est difficile d’être authentique. Il y a un tout d’abord un chemin personnel pour s’en rapprocher, et il faut ensuite se confronter aux autres.
Imparfait: Reconnaître qu’on n’est pas superman.woman, être honnête avec soi-même, et ce n’est pas grave. Personne ne peut être de bonne humeur tout le temps, personne n’a toutes les réponses.
Vulnérable: C’est presque un gros mot dans notre société aujourd’hui où l’on ne parle que de performance, où il faut assurer à tous les coups… Il faut être très courageux pour avouer ses faiblesses, mais c’est en partageant ce qui fait de nous des humains qu’on se rapproche des autres.
Poser des limites: Il faut se connaître et se protéger, protéger ce qui est important pour soi.

Témoignage: Un manager d’une cinquantaine d’années, à la tête d’une équipe de 10 personnes, s’est démené pour devenir manager d’une équipe d’une centaine de personnes. Avant sa prise de fonction, il a pris le temps de faire le point avec un coach, et a en fait réalisé que ce n’est pas tout à fait ce dont il avait envie. Il a fini par décliner le poste.
Il a eu le courage de se l’avouer, de le dire aux autres
Il est “imparfait” par rapport aux normes édictées par l’organisation (et peut-être son éducation).
Il se rend vulnérable: il ose avouer qu’il ne veut pas faire.
Il pose ses limites et dit “non”.

On pourrait le percevoir de l’extérieur comme un échec, un aveu d’impuissance. Mais est-ce que ce ne serait une manière de devenir plus fort en se connaissant mieux?
Fin de l’histoire: il a réintégré son équipe de 10 qu’il a finalement fait grandir jusqu’à 25 personnes grâce à tous les projets qu’il a lancé suite à sa prise de conscience.

Cette personne était sur une route toute tracée… qu’il avait dessinée lui-même. En prenant conscience de ses besoins, ses envies, ses limites, en se connaissant mieux, en travaillant sur lui, il a choisi une voie qui lui était plus adaptée.

S’il y avait deux choses à retenir de ces quelques mots, les voici:
L’authenticité, ça commence par soi. Si je veux que les choses changent autour de moi, je dois être acteur.trice de ce changement.
Et ce n’est pas une fin en soi, c’est un chemin pour continuer à grandir...

Voici pour ces quelques éléments de réflexion quant à l’authenticité en entreprise. Nous espérons vous avoir au moins donné envie de creuser le sujet!

Quelques éléments de bibliographie

Artmella, Emotions: enquête et mode d’emploi tome 1 et tome 2 (2019, bande dessinée)
Will Schutz, L’élément humain; comprendre le lien entre estime de soi, confiance et performance (2018, livre)
Thomas d’Amsembourg, Cessez d’être gentil, soyez vrai (Communication Non Violente), (2014, disponible en livre et livre illustré)
Ze Change Makers et les Joyeux Audacieux, le Cahier de l’authenticité (2019, PDF téléchargeable)